Le film d'Oliver Laxe, Sirat réussit à cocher toutes les cases qu'il semble imprudent de cocher au cinéma. Psychologie évacuée, intrigue expédiée en un quart de tour, relations humaines réduites à la portion congrue, émotions volatiles, douleurs rentrées, quête explosée, destins condamnés, fuite vaine, drames repliés sur eux-mêmes – et pourtant, malgré tout cela, le "récit" fracturé auquel nous assistons dans l'impuissance la plus vibrante, est plus que jamais éloquent: dans une ambiance désincarnée où les raves seraient les vestiges d'un désir collectif, où le désastre planétaire se double d'une interdiction de fêter la fin du monde, des individus acculés dans leur ultime désarroi décident d'avancer, d'avancer encore, quitte à errer dans le désert et danser sur des mines.
Le Clavier Cannibale
"Le totalitarisme a inventé son invisibilité" (Cédric Demangeot)
dimanche 12 octobre 2025
Sirat, ou le droit chemin dans l'abîme
Le film d'Oliver Laxe, Sirat réussit à cocher toutes les cases qu'il semble imprudent de cocher au cinéma. Psychologie évacuée, intrigue expédiée en un quart de tour, relations humaines réduites à la portion congrue, émotions volatiles, douleurs rentrées, quête explosée, destins condamnés, fuite vaine, drames repliés sur eux-mêmes – et pourtant, malgré tout cela, le "récit" fracturé auquel nous assistons dans l'impuissance la plus vibrante, est plus que jamais éloquent: dans une ambiance désincarnée où les raves seraient les vestiges d'un désir collectif, où le désastre planétaire se double d'une interdiction de fêter la fin du monde, des individus acculés dans leur ultime désarroi décident d'avancer, d'avancer encore, quitte à errer dans le désert et danser sur des mines.
Graham Greene / Le Dixième Homme / Journal de traduction (1)
L'édition du Troisième Homme que publient les éditions Flammarion (sous l'égide bienveillante, la houlette attentive et la férule amicale de Bertrand Pirel), est accompagnée d'un court roman intitulé Le Dixième Homme. C'est donc reparti pour quelques épisodes de ce journal du traducteur
En 1943, Greene travaille comme éditeur avec Douglas Jerrold pour la firme Eyre & Spottiswoode, l’éditeur de la King James Bible, où il est chargé de développer le département Fiction – il publiera ainsi Titus Groan de Merwyn Peake, ainsi que The English Teacher de R. K. Narayan. Pendant cette période, Greene se remet à écrire : la libération de la France s’accompagne alors d’un cortège d’histoires, d’anecdotes, d’atrocités et Greene « pitch » Le Dixième Homme à Alexander Korda en vue d’en écrire le scénario. Le 6 novembre 1944, il signe un contrat avec la MGM, pour une somme de 1500£, contrat dans lequel il abandonne les droits de l’œuvre à venir à celle-ci. Greene écrit alors ce court roman et l’envoie à la MGM.
samedi 11 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme (12)
« La fin, bien sûr, justifie les moyens aux yeux de Kim Philby, mais c’est là une conception adoptée, peut-être moins ouvertement, par la plupart des hommes impliqués dans la politique, si l’on juge par leurs actes, que ces hommes politiques soient un Disraeli ou un Wilson. ‘Il a trahi son pays’ – oui, peut-être l’a-t-il fait, mais qui parmi nous n’a pas trahi quelque chose ou quelqu’un qui soit plus important que son pays ? »
vendredi 10 octobre 2025
Marche ou crève : Quand King éclate le crâne de l'Amérique
Comme la ville où j'habite possède un cinéma d'art et d'essai, je ne me prive pas (moyennant cinq euros) d'aller voir tout ce qu'ils passent (ou presque). C'est ainsi qu'hier soir, n'écoutant que mon courage, je suis allé voir Marche ou crève, sans savoir de quoi il s'agissait, juste ce que c'était un film labellisé "horreur" et interdit au moins de seize ans. Or il se trouve que Marche ou crève, réalisé par Francis Lawrence, et adapté de The Long Walk de Stephen King est tout sauf un film d'horreur, plutôt une fable radicale sur l'Amérique actuelle. Imaginez: cinquante jeunes marchent sur une route, soi-disant pour redorer le blason d'un pays ravagé par une guerre interne (on n'en sait guère plus, mais visiblement la misère règne), le but de cette "manifestation" (l'inverse en fait d'une "manif") est réduire le nombre de participants à un seul, le dernier à survivre à cette rando de l'enfer.
Oui, car ceux qui lambinent ou traînent la jambe ou capitulent sont abattus séance tenante. Le film se "résume" donc, d'un point de vue cinématique, à des plans sur des corps qui avancent, des visages qui souffrent, des êtres qui parlent: les rivalités cèdent peu à peu la place à une camaraderie tragique (puisqu'il n'y aura qu'un seul "gagnant"). Et cette longue marche est supervisée et encouragée par une sorte de généralissime autoritaire, une sorte de père tout sauf spirituel qui mène cette mini-nation de marcheurs à sa perte inéluctable. Sans concession, rythmé par la chute de quarante-neuf corps abattus, le film se concentre sur quelques destins déjà brisés, attirés au début, pour certains, par l'appât illusoire du gain, mais découvrant à mesure que leur parcours christique se rapproche du golgotha de la ligne d'arrivée, que seule la solidarité peut faire front contre la folie quasi trumpienne qui les manipule.
Stephen King, executive producer du film, a par ailleurs modifié la fin de l'histoire, par rapport à celle proposée dans son roman. En passant du contexte initial (la guerre du Vietnam) à l'Amérique selon Crazy Trump, le récit implacable de King s'offre une fin nettement plus radicale. Un peu comme dans cette autre version de la chanson de Vian, Le Déserteur, qui s'achevait par ces mots : "et que je sais tirer."
PS Si j'ai le temps je vous parlerai de Sirat. Mais pas de L'intérêt d'Adam (bof bof) ni de Nino (aussi vide que creux).
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (11)
jeudi 9 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (10)
mercredi 8 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (9)
« Quel monde étrange et inconnu de nous gît sous nos pieds ; nous vivons au-dessus d’un monde de cavernes, de chutes d’eau et de cours d’eau tumultueux, avec des marées comme dans le monde au-dessus. »
mardi 7 octobre 2025
GRAHAM GRENE / LE TROISIÈME HOMME / JOURNAL DE TRADUCTION (6)
lundi 6 octobre 2025
Julien d'Abrigeon: Des milliers de chutes dans l'air
On suit depuis longtemps le travail de Julien d'Abrigeon, de loin en loin pourrait-on dire, intrigué par sa façon de travailler les formes, séduit par son écriture à la fois fluide et retorse (les deux ne sont pas incompatibles, heureusement). Mais rien ne nous préparait à Qui tombe des étoiles, ce furieux kaléidoscope narratif qui explore moins la figure de la chute que les paramètres (tenaces abscisses et fascinantes ordonnées) conditionnant sa possibilité. Car qui dit chute, dit élan, élancement, trajectoire, volonté d'envol – mais aussi désir d'espace, rêve d'émancipation, folie des hauteurs, peur du terre-à-terre. Encore fallait-il parvenir à organiser, ou plutôt orchestrer toute une galaxie de récits-destins, faire de cette foule de champions du grand plongeon une matière à la fois suffisamment dense et volatile pour qu'un livre susceptible d'accueillir tous ces improbables Icare échappe au piège de la recension pour devenir une formidable machine.
Rares sont les écrivains capables d'assimiler des fourmilières de faits sans que ces derniers rongent et sapent les bases de leur entreprise. D'Abrigeon en fait de toute évidence partie, tant sa maîtrise de l'immense documentation qu'il a accumulée lui permet non d'en faire étalage mais constellation. Sa méthode: commencer toujours au milieu des choses, reprendre sans cesse le fil là où il semble prêt à rompre, se livrer à un patient travail de tisserand, lui permettant d'entrelacer sans les emmêler divers fils narratifs dont il faudrait ici décliner les inquiétantes et passionnantes vibrations: la vie amoureuse de Nicolas de Staël, le rêve d'espace de Christa McAuliffe, l'envolée fatale d'Ewa Wisnierska, la langue universelle de Barès, le saut mis en scène d'Yves Klein, les voltes aériennes d'Adolphe Pégoud, des Russes qui tombent de haut, comme poussés par la main invisible du pouvoir, le vieux Charles Kane dévalant la neige de l'enfance, les délires financiers d'Elizabeth Holmes, les dévissements d'Edlinger…
![]() |
Vladimir Velickovic (1935-2019), Trois états du saut, 1975 |
Des hommes qui tombent, des femmes qui montent, des centaines de façon d'appréhender le vide, de tutoyer les étoiles, de se croire invincible, de vouloir inverser les diktats des boussoles, de frôler la mort autant que la vie, de s'échapper, de s'affirmer, d'exploser en vol. La vaste tribu des trébuchés de la vie, jamais figée, suivie dans ses voltes et ses écarts. Qui tombe des étoiles aurait pu être un fastidieux catalogue d'impressionnantes gamelles – il n'en est rien: D'Abrigeon est parti à la conquête d'un espace narratif encore inexploré et a su non pas tresser artificiellement mais mettre en résonance organique les nombreux fatum de ses protagonistes: toute l'intelligence de son livre est de ne jamais rabattre les trajectoires ici déployées en démonstrations de chute. Ici, l'implacable loi de la gravité devient un moteur diégétique aussi implacable que surprenant, permettant à l'écriture à la fois rigoureuse et décomplexée de l'auteur de tout brasser, analyser, déplier, laisser en suspens, décliner.
Un livre qui ne cesse de recommencer, à chaque page, comme si sa nécessité exigeait et conditionnait sa perpétuelle renaissance, tout entier dédié aux mouvements paraboliques de ses récits, afin que la mosaïque ici sublimée accède, à force de rêves et de catastrophes, à un statut quasiment symphonique (d'obédience dodécaphonique, tant qu'à faire). Et se change, subtilement, en fresque fabuleuse.
—————————————
Julien d'Abrigeon, Qui tombe des étoiles, Le Quartanier, 20€
dimanche 5 octobre 2025
Graham Greene, Le Troisième Homme / Episode 4
samedi 4 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (3)
vendredi 3 octobre 2025
Graham Greene / Le Troisième Homme / Journal de traduction (2)
Qui est ce troisième qui marche à tes côtés ? / Quand je compte, il n’y a que toi et moi ensemble / Mais si je regarde au loin la route blanche / Il y a toujours un autre qui marche à tes côtés.
jeudi 2 octobre 2025
Le Troisième Homme, de Graham Greene : Journal d'un traducteur (1)
A l'occasion de la parution de ma nouvelle traduction du Troisième Homme de Graham Greene aux éditions Flammarion, je poste ici, une fois de plus, un "journal du traducteur".